Il arrive que des jeux deviennent cultes pour des raisons difficilement discernables. Alundra, renommé The Adventures of Alundra en Europe, fait peut-être partie de ceux là.
Développé par la jeune Matrix Software, Alundra ressemble fort au titre Landstalker sur Megadrive. En effet, Matrix a été créée par d’anciens membres de Climax Entertainment, connu pour ce titre, et d’anciens de Telenet (connu pour Arrow Flash et Ys III). Il sera diffusé au Japon par Sony en 97, et par Psygnosis en Europe en 98, c’est plutôt chouette de leur part (comprendront qui pourront cette blague).
Classé dans le top 10 des jeux les mieux notés de 1997 sur Playstation, et le meilleur jeu d’action-aventure de 1997, Alundra sera comparé à FF7 alors qu’ils n’ont que peu de choses en commun.
Une réussite critique mais un désaveu des joueurs, frileux des jeux en 2D dans cette période prolixe à la 3D, et qui côtoiera d’excellents titres à sa sortie. Landstalker était un must-have à son époque, le Zelda sur Sega Megadrive disait-on, alors qu’en est-il objectivement de Alundra, 19 ans après ?
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Histoire
L’histoire se construit autour de Alundra, ne connaissant rien de ses origines, perturbé par un rêve étrange et récurent, qui va être investi d’un destin olympien : celui de défaire un dieu. Il se découvre du clan elfique Elna qui a le pouvoir de voyager dans les rêves, pouvoir auquel il fera souvent appel dans le village d’Inoa dont il doit sauver les habitants en proie à de sombres cauchemars manipulés par un puissant démon.
Intégralement en 2D, le jeu souffre clairement d’un petit retard technologique. Les décors manquent de profondeur de champ, et les animations sont parfois très rigides. On notera quand même des sprites plaisants, et quelques décors évolutifs même s’ils sont scriptés (l’eau qui vient alimenter la fontaine, le moulin qui se met en marche, une cheminée qui ne crache plus de smog, …). Je me suis surpris plusieurs fois à grandement apprécier le travail sur les différents rendus des flammes, qui sont pour moi parmi les feus les plus impressionnants vus sur la console – et pas seulement dans les décors ou en sprite, mais aussi en tant qu’attaque d’un dragon par exemple. Parce que oui, il y a un dragon, et d’autres boss franchement réussis.
Coté musique, c’est Kohei Tanaka qui sera à la mise en son des deux opus Alundra sur PS1. Et autant dire que le résultat est probant ! Rien d’étonnant, le monsieur est connu pour ses compositions de One Peace.
Il a même droit à son propre sprite près de la mine de charbon, où un phonographe donne accès à toutes ses musiques orchestrales (avec des fondus entre chaque morceaux, ils y ont pensé. On peut se constituer son propre disque d’OST grâce à cela). À souligner pour terminer que la musique de la pièce s’étoffe à mesure que l’on progresse dans l’aventure, se garnissant de nouvelles pistes et d’effets, Kohei nous demandant ce qu’on en pense. Petit amour du détail.
Let’s play !
Nous commençons sur le Klark qui vogue vers Inoa. À son bord, peu d’action pour prendre en main le jeu. Pas de mannequin pour tester son épée, quelques caisses à jeter sans but, pas de place pour courir ou sauter, et des dialogues sans gloire. La première chose à faire est d’aller parler au capitaine pour pouvoir aller se coucher. Pas franchement séduisant coté immersion. Bref, quelques instants plus tard, nous faisons la connaissance d’Inoa et de ses résidents, avant de démarrer notre première quête.
Action RPG avec des combats en temps réel, un inventaire, des énigmes à résoudre et des donjons à parcourir, d’aucuns parleront de Zelda-like. Je parlerai pour ma part d’un Tomb Raider 2D tant les sauts ont une importance prépondérante dans les plateformes et les énigmes. Alundra est vraiment le fils spirituel de Ryle de Landstalker, la vue isométrique en moins mais toujours avec cette rigidité et des puzzles d’excellente qualité.
Et là, c’est le drame. Si l’on se souviendra du jeu pour son scénario ou ses énigmes, on ne retiendra pas en bien son gameplay. Alundra est un vieil arthritique ultra rigide et non permissif. Courir ne se fait qu’en ligne droite sans diagonale et après une prise d’élan. Les phases plateformes sont laborieuses, les combats compliqués avec l’incapacité de frapper en diagonale, toute arme confondue. Sans parler des combats dans les escaliers, où 2D et perspective font zéro pointé !
La navigation dans l’inventaire est archaïque. Le rééquipement successif devient une épreuve inutilement rude. Dans un Resident Evil, ça participe à l’ambiance survival-horror, ici, c’est juste pénible. Aucune des quatre gâchettes n’est utilisée ! Vous avez une manette de Playstation, pas de SNES, faites un effort ! Ce menu casse l’action sans arrêt, et rend les énigmes déplaisantes.
Quelques boss ont des patterns dignes de boss Zelda, quand d’autres sont plus classiques. Le nivèlement de la difficulté fait partie des faiblesses du titre, difficulté accrue par la maniabilité fatigante du personnage. Il faudra du temps pour en venir à bout, et s’il n’y a pas d’exploration, les trajets incessants participeront à prolonger la durée de vie du soft. Parlant de cela, gardez bien votre carte du monde fournie avec le livret du jeu, elle vous sera précieuse. Car l’on ne vous propose pas de map in-game. Et le manque de variété graphique et d’ennemi spécifique ne donne aucun repère. Même le premier Zelda paraissait mieux fichu à ce niveau là, et il était plus vaste. Les panneaux de signalisation arrangent un peu l’affaire mais reste une solution insuffisante sans la carte papier.
Déjà la conclusion ?
Un univers onirique, le pouvoir de voyager dans les rêves, un elfe un peu paumé voué à un grand destin, tuer le meûchant démon, on pourrait croire que cela s’adresse à un public jeune, très jeune, avec une jouabilité foirée. Que nenni. Vous avez pu le remarquer, même si Alundra est coloré, il est terne. Comme si les décors manquaient de vie. L’habillage musicale contrecarre cette sensation avec prouesse, comme pour nous tendre un piège. Du coup, on perçoit un peu ce manque d’authenticité sournois sans comprendre immédiatement, ce qui nous amène aux véritables forces du soft : ses thématiques.
Bien que la traduction française puisse être en cause, certains dialogues en début d’aventure souffraient de vacuité : on est générique, un ou deux gros mots sans impact, bref, pas folichon. Donc on fait fi ! Et puis, les personnages commencent à se confier ; et l’on finit par aborder intelligemment la cruauté, la mort, l’injustice ou la fatalité. Il s’en dégage une ambiance sombre très spécifique à Alundra.
- Sensibilité
En effet, le village, enveloppé d’effroi à cause de ces cauchemars qui l’épuise, est pris dans un phénomène d’hystérie collective. Le maire cherche un bouc émissaire, Giles à l’esprit fébrile se plonge dans le fanatisme religieux, Myra tombe en dépression et quémande la mort quand Gustav tombe quant à lui dans l’alcoolisme. Tous se recueillent constamment, invoquant leur dieu, la religion occupant toutes les bouches.
Dans cette ambiance de suspicion et de paranoïa, les imbroglios sont légions. Et les avis des villageois changent au fil de notre aventure. C’est aussi là que se situe l’intérêt du soft, le village semble réellement évoluer, et évoluer logiquement. À chaque étape accomplie, les répliques des personnages changent : on en apprend davantage sur eux, des évènements se passent sans notre concours, ce qui rajoute à la vraisemblance de l’univers. On finit par régulièrement leur parler et donc nous intéresser à eux petit à petit.
La difficulté participe au lien affectif que l’on développe. On fournit des efforts et gagne en dextérité, on lutte afin de venir à bout des épreuves après des minutes et des heures de jeu avec des énigmes et des monstres, et ces satanés plateformes ! On parvient enfin à sauver un villageois d’un cauchemar, et pourtant… après tous ces efforts, le sort s’acharne et la mort éloignée revient au galop et emporte les plus faibles. Cruelle. Implacable.
On subit cette véritable hécatombe qui atteint Inoa, en se demandant quel sera le suivant à mourir. Cette fatalité contre laquelle on se dresse, et ce dilemme qui nous taraude : ces évènements se seraient-ils produits sans nous ? Notre responsabilité est mise en cause. Comment rester insensible à la lecture de la lettre d’un défunt à notre intention, dans laquelle on trouve “ma main tremble pendant que j’écris cette lettre. Je dois résister à l’envie de la froisser et de la jeter”, lui qui cherchait à nous protéger ?
La venue de Meia révèle les tensions entre les villageois, certains voyant en Alundra le Libérateur, d’autres la malédiction qui les frappe, d’autres encore lui reprochant simplement ses échecs, même en temps que sauveur. Parce qu’elle a les mêmes pouvoirs et apparait plus confiante et assurée, Meia se positionne naturellement en concurrente.
Même pouvoir, mais pas la même façon de procéder, et c’est une fois encore qu’on vient titiller notre responsabilité. Elle voyage dans les cauchemars, mais plutôt que de résoudre la cause du mal, elle les supprime, au risque d’endommager l’esprit de la victime. Le clivage se créé dans le village jusqu’à, enfin, une collaboration. Elle finira par comprendre que sa façon de faire a un penchant moins radical qui lui est peut-être préférable. C’est à la fois par honte et aussi un aveu d’impuissance qu’elle finira par ne plus utiliser ses pouvoirs et nous aider par d’autres biais. On ne lui prend pas son rôle, son rôle évolue, et elle gagne une autre place dans la communauté. Là encore, dramatiquement, c’est intéressant.
- Religion
Certes, ça parle de Religion, mais ça en parle bien. Il ne s’agit pas de donner un discours à sens unique qui dirait “la religion est mal” sans dialogue possible. Alundra aborde le sujet sous l’angle de sa propre mythologie afin d’ouvrir les esprits et non de les fermer.
Les sept Gazecks sont les dieux taillés dans la pierre qui ont pris vie grâce à la prière et au pouvoir de création des anciens humains. Mais ils se disputèrent ces pouvoirs, chacun espérant monopoliser l’adulation des Hommes et belliqueux, ils finirent par s’entredétruire. Nirude fut le seul à refuser le combat, et découvrit que le divin naissait de la foi, ce vecteur de création incroyable que la haine vint rapidement concurrencer pour donner naissance à… Melzas. Plus imparfait encore que les Gazecks, il gagna les prières des Hommes en insinuant la terreur dans leurs rêves. Il se para de lumière et de démoniaque, il apparut divin aux yeux des crédules.
Avec cette mythologie, Alundra ne remet pas en question la Foi, ou les Canons religieux qu’elle peut développer, mais le dogme qui peut dénaturer une croyance et l’utiliser à des fins malveillantes. Le fanatisme est la fermeture de la pensée sur ces dogmes malsains qui revêt de façon ostentatoire la piété inconditionnelle, capable de tout justifier, même le plus inavouable. Croyant, agnostique ou athée, Alundra ne se porte pas en faux finalement. Il vient chatouiller notre esprit, nous appelle à la réflexion par nous-même, sans pour autant nous dicter ce qu’on doit croire ou ne pas croire, ou même s’il faut croire. Autrement dit, il nous amène à la notion fondatrice du choix. Ingénieux.
D’autant plus ingénieux que la rare fois où l’on nous demande notre avis, c’est au moment d’une prière. Répondre non, c’est être harcelé par la même question jusqu’à répondre oui. Perturbant quand on lit « les prières doivent être sincères pour être entendues ». Alors on va se recueillir, et brûler un cierge pour notre libre arbitre, pour apprendre plus tard que ça se retournera contre nous. C’est ça ! C’est là, en taquinant le joueur, qu’on approche le génie.
Conclusion
Est-ce que Alundra mérite sa place de 73e meilleur jeu Playstation de tous les temps (en 2010) ? À mon sens non, car il pêche gravement par son gameplay, que j’avais gardé en mauvais souvenir. Et son grand âge ne lui est pas non plus favorable sur ce point là.
De plus, on peut difficilement renouveler l’expérience du jeu, contrairement à un FF7 par exemple. L’exploration est minimale car elle est dépendante de nos objets de quête, pas de secret en dehors des faucons dorés, pas d’autres objets que des consommables en dehors du scénario principal, pas de magies ou d’accessoires facultatifs. Le syndrome que j’appelle ironiquement “du couloir ouvert” dans lequel on peut aller partout mais ne rien faire. La rejouabilité s’en voit fortement compromise.
Malgré tout, il a une patte. C’est le genre de jeu qui a une saveur qu’on ne peut lui retirer. Il était à l’époque novateur sur sa façon d’aborder de tels sujets. Je reste époustouflé que la main implacable de la censure ne lui soit pas tombé dessus à l’époque, surtout en flirtant autant avec la pensée religieuse quand on voit ce qui a été entravé à coté. Trop malin pour les censeurs ? Peut-être. Toujours est-il qu’il était une bonne expérience narrative à l’époque.
Nous sommes infiniment moins laxiste aujourd’hui sur les mécaniques de jeu, et pourtant, je pense qu’il a encore cette saveur qui lui est singulière. Un remake pourrait corriger cela, mais au risque de passer à coté de ses qualités puissantes. Un pari risqué donc, qui ne sera sans doute jamais pris. Dommage.